Oya Agency fait partie du pôle d’experts de REC Innovation depuis juin 2019. Dans le cadre de cette activité, Estelle Barthélemy* a accompagné quatre structures lauréates du programme REC Développement. En proximité en termes de valeurs et d’envies, et de projets, Estelle a souhaité donner la parole à Morgane Gauquelin et Laïla Bret de REC Innovation.
Morgane Gauquelin est Directrice Générale de REC Innovation depuis septembre 2016.
Laïla Bret est membre de la communauté REC Innovation depuis 2017. Elle apporte son expertise en développement stratégique à l'équipe interne REC Innovation. Laïla Bret a une spécialité en Social Business. Elle crée des ponts entre les grandes entreprises et les structures de l'ESS [économie sociale et solidaire] accompagnées par REC Innovation.
Pourquoi elles ? Parce qu'elles construisent des ponts pour faire émerger l’économie sociale et solidaire. Elles œuvrent pour une société où l’innovation va de pair avec le développement durable.
Deux femmes, deux énergies complémentaires, un seul objectif : développer l’ESS. Qui mieux que ces actrices de l’innovation sociale pour en parler avec passion ?
Morgane / Laïla parlez-nous de votre parcours ?
Ensemble : On est toutes les deux des filles de commerçantes !
Morgane :
J’ai d’abord fait des études, un Master et des recherches en relation internationale. Puis, j’ai travaillé en ONG au Moyen orient et en Asie du Sud Est. Ensuite, j’ai eu envie de travailler dans l’entrepreneuriat social. Cela répondait à plein de mes attentes : capacité de créer, d’inventer et d’innover.
Laïla :
J’ai fait une école de commerce et j'ai intégré une grande entreprise des Télécoms durant 15 ans. J’y ai appris le langage des grands comptes et des acheteurs. Je manquais de sens dans ce que je faisais. Cela ne répondait pas à mes valeurs. Grâce aux rencontres que j’ai pu faire, j’ai découvert l’économie sociale et solidaire. Je me suis dit : ``Tiens, j’y ai peut-être ma place”.
Pourquoi ce choix d’engagement personnel et professionnel sur des activités à impact social ?
Morgane :
Moi, j’ai toujours travaillé là-dedans. Je ne peux pas dire que j’ai eu le choix. Cela c’est posé comme une évidence. J’ai toujours évolué dans cet environnement. Même très jeune, j’ai travaillé dans des associations. Pour moi, l'économie, l'environnement et l'impact social ont toujours été liés. Cela n’empêche pas d’avoir une connotation commerciale et économique assez forte. D’ailleurs, ce sont des tendances qui tendent à se généraliser. On le constate de plus en plus.
Laïla :
Parce que c’est ce qui répond le mieux à ce qui a du sens pour moi. Me réveiller le matin et travailler dur pour ça, cela m’allait bien. C’est en rencontrant des gens que j’ai découvert l’ESS. Auparavant, cela ne me paraissait pas possible d’avoir cet équilibre pro/perso sur cette planète. Mais en fait, ça l’est ! Donc, en fait, je n’ai plus l’impression de travailler.
Pour vous, comment définiriez-vous l’innovation sociale ?
Laïla :
Pour moi, ce sont des réponses nouvelles à des besoins sociaux mal ou peu adressés. Ce sont des approches innovantes à des problématiques complexes auxquelles aucun acteurs privés ou publics ne peut répondre seuls.
L’innovation sociale, c’est lier toutes les parties prenantes.
Morgane :
Je rajouterais une dimension territoriale qui est assez importante. Il faut connaître les territoires, les écosystèmes, les parties prenantes et les filières. Il faut savoir quelle est la capacité d’action de chacun pour répondre aux besoins identifiés. Ce qui est important, c’est la capacité d’agir des individus et des entrepreneurs sociaux. L’innovation sociale doit laisser la place aux innovateurs qui veulent y travailler.
Comment REC innove ? Sur quels champs ? Production ? Secteurs ?
Morgane :
Pour innover, on expérimente. On se laisse du temps pour répondre aux problématiques qu’on a identifiées. On se laisse de la flexibilité. Nous savons qu’il faut du temps pour trouver les réponses adaptées. Il faut se laisser un temps d’expérimentation. C’est quelque chose qu’on assume assez bien. En fonction des remontées du terrain, on fait évoluer nos modes d’accompagnement en ajoutant ou en enlevant des briques d’outils d’accompagnement. On travaille aussi la notion de communauté d’entraide d’entrepreneurs. Ce sont des besoins qui sont remontés avec la crise sanitaire.
Laïla :
Je suis experte dans la communauté de REC. Ce que je trouve innovant, c’est leur capacité à parler à toutes les parties prenantes. C’est de s’adapter à chacune d’elles en parlant leur langage particulier, détectant leurs besoins et être capable de créer des ponts entre elles. Je trouve ça vraiment innovant. De plus, REC n’est pas dans une logique de concurrence. L’état d’esprit est fort. On sait qu’on a tellement à faire ! Plus on peut rassembler, plus on réussira cette mission de transformation. Il y a comme une “petite” urgence. Les besoins sociaux sont reliés à l’environnement. Si on résout les problématiques sociales, on résout les problématiques environnementales. Être ouvert à tous pour pouvoir avancer ensemble, c’est une vraie innovation !
Quelle est votre méthodologie d’accompagnement ?
Morgane :
Tout d’abord, on détecte les entreprises sociales qui sont présentes sur les territoires. Celles qui ne sont pas facilement visibles. On a un temps assez fort de sourcing d’entreprises. On détecte ces entreprises à fort potentiel. On étudie leur capacité de développement. On identifie celles qui ne sont pas forcément accompagnées. Nous recherchons celles qui ne sont pas déjà présentes dans les réseaux. On prend volontairement beaucoup de temps sur ce travail de détection.
Ensuite, nous faisons un diagnostic stratégique de chacune. On part au maximum des remontées de terrain. On fait beaucoup d’études, d’analyses et d’entretiens des besoins des entreprises sociales. Nous souhaitons bien les accompagner. On part des besoins exprimés et pas de ce qu’on a en tête. On impulse des rencontres, du networking et de l’accompagnement individuel, des masterclass etc. L’aspect événementiel se développe de plus en plus. Par exemple, on fait des Rec Dej et nous organisons une convention d’affaire.
Nous avons une dimension “social business” .C’est ce sur quoi Laïla travaille. Nous nous engageons à faire trois mises en relation qualifiées. Le but pour les structures accompagnées est de découvrir, tester et sortir de leur écosystème. Nous développons de la solidarité entre les différents acteurs. Nous souhaitons créer une autonomie dans la communauté. L’idée aussi est d’être rôle modèle.
L’impact social et environnemental sont des attentes très fortes des acteurs et des consommateurs. On le voit se développer quotidiennement. L’ESS représente 10 à 12 % de l’économie. Il reste 90 % à conquérir. Créer ses ponts permet d’imprégner les valeurs de l’ESS au-delà de son univers. Générer des rencontres insuffle de nouvelles méthodologies. Elles ouvrent des voies au partage et à la formation de ce que l’on est, de ce qu’on sait faire. On cherche les moyens de déployer ces ponts. L’innovation du secteur de l’ESS est en avance pour répondre aux enjeux actuels.
Ensuite, on ajoute des briques en fonction des besoins des acteurs. On a travaillé dernièrement sur la posture et l’accompagnement des dirigeants. Cette époque charnière a bouleversé beaucoup de choses. Il y a eu beaucoup de changements et de transformations. Nous avons des demandes dans ce sens. Nous nous devions d’y répondre.
Laïla :
Pour compléter ce que vient de dire Morgane, dans la méthodologie, on a bien compris qu’il y a un enjeu de “switch mental”. Il est important que chaque personne, quel que soit leur milieu, puisse travailler ensemble.
Nous faisons tous partie d’une seule et même planète sans plan B. On favorise les interactions. On va, par exemple, mettre en place des ateliers de co-développement. D’un côté on va avoir des consultants de grandes entreprises et de l’autre des entrepreneurs sociaux à impact positif. En pro-bono, cela permet aux uns et aux autres de découvrir ce que l’autre est. Cela permet à deux mondes de communiquer. C’est une expérience forte de sens en cette période de crise du sens.
Y-a-t-il selon vous un processus clair en matière d’innovation sociale ou au contraire faut - il toujours adapter ses réponses aux problématiques de ses bénéficiaires – et/ou financeurs ?
Laïla :
Évidemment : oui et non
Oui : Le plus important, c’est d’avoir une volonté claire et assumée, et de faire. C’est ce qu’on va d’abord rechercher chez nos partenaires. Ceux qui financent ou ceux qui collaborent d’une façon ou d’une autre.
C’est : qu’est-ce que vous voulez ? Est-ce que votre intention est claire ? A partir de là, on est déjà à valider quelque chose d'important. On veut imaginer ensemble des solutions. C’est le contrat de départ. C’est comme cela que les relations avec les grands comptes se construisent, et avec les partenaires de plus en plus. Cela permet d’être dans un rapport d’authenticité. Nous sommes anti GreenWashing. Et ensuite, tu peux répondre à non ? [adressé à Morgane - Rires].
Morgane :
Il n’y a pas de processus clair parce qu’il faut se laisser du temps. Il faut se laisser la possibilité d’imaginer des choses et de les expérimenter. Les structures mettent les sujets sociaux et environnementaux au cœur du système. Il faut le décider dès le départ.
Après, il faut vraiment se donner le droit d’essayer, de rater, de corriger et de réadapter. On achète pas des résultats. On achète une expérimentation, une méthode, une envie. Cela prend du temps. Il ne faut pas minimiser ce temps.
L’innovation vient en partie en faisant. Il faut tenter, recommencer différemment. Cela prend du temps, ce n’est ni un problème, ni grave. C’est un chemin qu’il faut emprunter. Nous avons accompagné plein d’acteurs à trouver la bonne solution. Le chemin est aussi un apprentissage. Avec nos partenaires, nous prenons cette voie risquée de R&D [Recherche et Développement] et expérimentale. Elle est de répondre à un besoin sur un territoire.
Au départ, la solution n’existe pas, il faut la trouver. Il faut assumer de trouver l’inspiration. Une fois trouvée, nous aidons à son développement et à ces duplications. Nous accompagnons pour imaginer de nouveaux débouchés, pour adapter et structurer, pour passer à l’échelle. C’est notre cœur de métier.
Laïla d’ajouter :
C’est à l'opposé de la façon de penser dans une grande entreprise. Plus on prendra le temps nécessaire, plus la réponse sera forte. Et ça déjà, c’est un “switch” pour la plupart des grandes entreprises parce qu’elles ont une obligation de résultats. C’est compliqué pour elles et, en même temps, les humains qui y travaillent le comprennent de plus en plus. On est contraint par le temps et la température monte.
Qui a besoin de vous ? Et vous, de qui avez-vous besoin ?
Morgane :
Les entreprises sociales qui ont des questions de changement d’échelle et de développement. Celles qui s’interrogent sur : “Comment je vais pouvoir me développer tout en conservant mon impact social et environnemental au cœur des enjeux”. Exemple : “Comment je peux passer de 1 000 à 10 000 paniers bios tout en gardant le même impact social et environnemental territorial ?” Ou “Comment je peux développer une nouvelle activité ou un nouvel écosystème de partenaires tout en gardant mon authenticité, mes raisons d’être et l’adhésion de l’équipe ?”.
Nous nous plaçons au côté des dirigeants, de ceux qui tiennent la barre, pour les aider à répondre à ce type de questions. Ils dirigent principalement des structures de l’insertion et des entreprises des territoires. Nous avons accompagné plus de 250 entreprises avec des formes juridiques diverses et variées.
Pour ceux dont nous avons besoin, il s’agit de partenaires qui soutiennent l’action, de financeurs pour soutenir les projets des programmes. Et comme le disait Laïla, des partenaires qui sont dans la même ligne de croyances que nous. Nous recherchons des partenaires de cœur.
Laïla :
On source aussi les partenaires au même titre que les entrepreneur.e.s. Toutes les spécialités de REC INNOVATIONS s’attachent à changer le côté systémique. C’est vraiment des choix d’accompagnement de profils qui, demain, pourront apporter un savoir. Un savoir qui pourra être dupliqué. Il y a cette dimension très importante.
Certains entrepreneur.e.s deviennent des partenaires pour imaginer des réponses. Nous identifions les profils en analysant s' ils sont bien alignés entreprise à mission, s’ils ont véritablement une démarche de performance extra-financière ou est-ce du GreenWashing.
On est vraiment là pour faire avancer les choses. Nous n’avons pas besoin d’être très nombreux. Nous avons besoin de partenaires de qualité. C’est un rapport de gagnants / gagnants et vertueux, parce qu’on est des faiseuses.
Sur quoi ne lâcherez-vous rien ?
Morgane :
On lâche rien sur rien ! Dire qu’on ne lâche rien, c’est un euphémisme. On ne lâche jamais rien.
Un des enjeux fort, c’est de pousser les entreprises sociales à aller au-delà de leur milieu. On les incite à être conquérantes. On ne lâche rien sur le fait de les appuyer dans leur déploiement. Nous sommes des acteurs qui sommes dans l’action. Nous donnons les moyens de transmettre le système de valeurs.
Laïla :
Je pense qu’il y a aussi la cohérence. Nous sommes vraiment sur le terrain quitte à oublier de communiquer. On cherche des réponses.
Comment voyez-vous REC en 2024 ? Et en 2030 ? Selon vous, qu’est-ce que cela pourrait-être ?
Laïla :
Au stade ?! Il va y avoir les JO [rires].
Morgane :
Hey, pourquoi pas !
Chez REC, pour 2024, on a beaucoup travaillé sur l’égalité et l’équité sur les territoires. On a identifié les territoires où il y avait des besoins sociaux et des entrepreneur.e.s sociaux, et pas de programmes comme les nôtres.
On s'est développé notamment dans les quartiers de la politique de quartier et les zones rurales. Il y a de belles entreprises sociales qui ont envie de se développer.
On a des actions qui démarrent dans quatre nouvelles régions. Il y a une forte dimension à donner pour 2024 de déploiement géographique des programmes. Il reposerait sur des ambassadeurs territoriaux. C’est un enjeu fort. On est passé de une à cinq régions en un an. On veut asseoir cette activité, les antennes et les bureaux qui ont été créés.
On travaille aussi sur des sessions de partage entre homologues européens. Il faut agréger les forces en présence. C’est important de ne pas travailler uniquement à l’échelle de la France. Il faut aussi partager et dupliquer les bonnes idées. Je crois beaucoup à l’inspiration internationale.
J’espère qu’en 2030, on accompagnera des projets phares sur cette ligne-là. Ceci avec dans l’idée de toujours plus se développer, se déployer. Nous espérons que l’économie sociale et solidaire sera à un stade complètement différent. Nous travaillons pour que son développement soit complètement réalisé. En 2030, on s'adressera à des entreprises qui ont développé des solutions. Nous espérons que nous accompagnerons des projets qui auront beaucoup grandi. Que les entreprises sociales et environnementales auront grandi en même temps que nous. Nous espérons qu’elles répondront à la taille des enjeux économiques d’aujourd’hui.
L’idée c’est de grossir pour toujours plus d’impact positif. L’idée c’est de faire de la croissance. L’idée c’est de croître avec les entreprises sociales. Nous nous projetons vers une croissance nationale et internationale mais aussi un développement territorial.
Laïla :
A 2024, il y a cette démarche de développement territorial. REC s'appuie beaucoup sur sa communauté d’experts. Il y a une démarche ecosystémique. Nous sommes beaucoup à l’écoute des experts de la communauté, de ce qu’ils proposent. Nos experts permettent de convaincre. On se rend compte, à travers leurs témoignages, des territoires à conquérir. C’est vraiment une démarche collective. Comprendre les personnes qui font partie de la communauté est important pour créer l’avenir. On veut que nos experts aient envie de rester dans cette communauté et de grandir avec elle. C’est une force.
2030… all around the world et bientôt Mars ! Plus sérieusement, c’est embarquer un maximum de parties prenantes avec ces objectifs des accords de Paris. Malheureusement, même en les respectant, on monte à plus de deux degrés. C’est complètement dingue. Il y a urgence à fédérer et à agir. 2030, c’est : on a fait le Job de la transformation sociale et environnementale. Ils sont reliés. Ce sont les pays les plus riches qui produisent le plus de pollution, donc les entreprises. Cet enjeu fait qu’on est dans cette démarche de transformation. On fait avancer REC à travers cette mission. REC est un acteur faiseur.
Merci Morgane, merci Laïla pour votre témoignage inspirant.
*Estelle vient de reprendre du service pour la nouvelle promotion d’entrepreneurs identifiés. Par ailleurs, en partenariat avec les équipes de REC Innovation, Oya Agency a travaillé aux côtés de deux très belles entreprises de l’IAE [insertion par l'activité économique] dans le cadre de programmes ciblés.
Interview réalisée par Céline COCHELIN pour Oya Agency - le 03 novembre 2021 dans les locaux de de REC Innovation - 1, rue Houdon - 75018 Paris.
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